Christiana est la peintre d'un Quattrocento Moderne,entre miroirs défunts et renaissance. Le souffle qui s'exhale de ses toiles est condensé, à faire voler une plume: celle de l'ange de sa Beauté... Cela est rassurant, en effet de constater ce goût qui ne l'a jamais quittée pour des sujets Renaissance, et un Christ-martyr dont elle nous donne une vision, au delà de la médiatisation attachée au personnage. On ne sait pas d'où nous parviennent ces influences, bien que nous soyons constitués par elles. Pour les avoir cherchées, pour les avoir sublimées? Le Mysticisme est contenu dans le nom de l'artiste, à travers ses toiles: Christ-(iana) ...mais c'est un peu facile. ce qui l'est moins, c'est d'imaginer comment elle cristallise de nombreux fantasmes. dans sa peinture Le monde de l'art est devenu un tel déversoir à profits, qu'il est bon de se ressourcer à son imaginaire. Mieux: je dirais que, concernant son style, il n'y a rien de dogmatique, il ne veut pas se faire passer pour parole d’Évangile, même traitant d'imageries religieuses. Alors, c'est une voie formidable: celle d'une pensée paradoxale sur le monde,Il vaut mieux en être nourri que de faillir à la gratitude minimale envers ce cadeau d'être au monde.
Dans ses tableaux sur Michaël Jackson, Christiana Visentin se confronte à un sujet digne du Quattrocento : l'adoration de Michaël Jackson.
L'idole est représentée dans sa passion et sa gloire.
Fantasme, prince déchu, Christ de la pop, l'artiste devient réceptacle du besoin humain à trouver un phénomène transcendant devant lequel s'incliner.
Les médias se sont emparés de l'idole.
L'imagerie de sa starification nous est parvenue à travers la une des journaux et ses vidéos virales.
Or, l'angle par lequel Christiana s'est décidée à le représenter relève, dans ses toiles, d'une technique de la Renaissance : le sfumato.
Choix philosophique autant que pictural.
Qui peut dire en effet quels étaient les contours réels du personnage ?
A y regarder de plus près, Christiana Visentin, à travers ses portraits, peint une seule et même figure, avec, pour recommandation implicite, de se tenir à bonne distance du tableau.
Car l'hubris de la star fut de notoriété publique, et les représentations qu'on en donna, parasitées d'extravagances.
Dans cette tentative de peindre l'inconscient des foules et le génie de Jackson, demeure un indice: l'existence d'un tableau de La Cène au dessus de son lit, à Neverland.
On l'y voit en compagnie d'Abraham Lincoln, John Kennedy, Thomas Edison, Albert Einstein, Walt Disney, Charlie Chaplin, Elvis Presley et Little Richard.
Présidents, scientifiques et artistes consacrent l'idole au rang de monument de l'histoire des Etats-Unis - ce blason comme le blanc-seing de ses abus sexuels supposés.
Cette ambiguïté-là, Christiana la touche du doigt : qui nous dira la vérité sur une icône ?
Qui témoignera pour sa gloire, qui, pour son déclin ?
Ce qu'il y a à retenir tient moins dans sa puissance et sa splendeur que dans l'éclairage projeté sur la star.
Christiana enveloppe Jackson soit par une lumière quasi-lunaire, soit par des ors flamboyants.
Son embrasement intérieur rejaillit cependant, nimbé d'indécision.
Christiana veille à ce: « … qu'ombres et lumières se fondent sans traits ni lignes, comme une fumée (Léonard de Vinci).
La peintre répond à l'appel de ce qu'on nomme: « sentiment ».
Sentiment mystique de la beauté, transfigurée par l'amour de millions de fans.
Ou sentiment qu'elle arrache à cette horde, grâce au simple témoignage du sien.
Dans son travail le moins hagiographique, Christiana ôte le mercure du miroir dans lequel le messie des temps modernes se reflète.
Son avènement s'atmosphérise.
Il y a un rôle dans Lorenzaccio de Alfred de Musset, qu'elle pourrait jouer à merveille: il se nomme Tebaldeo, c'était l'élève de Raphaël. Tebaldeo dit qu'il a, pour mère, la ville de Florence.
- Voici la fin de la scène 2 de l'acte II:
Tebaldeo: Personne ne me connaît, et je ne connais personne; à qui ma vie ou ma mort peut-elle être utile?" - Lorenzo "es-tu Républicain? aimes-tu les princes?" - "Je suis artiste; j'aime ma mère (la ville de Florence) et ma maîtresse (l'art) ...un petit condensé de vocation artistique en somme ...
Benoit Lepeq
(professeur à conservatoire de Dunkerque, auteur de théâtre, directeur artistique)